Ce qui est resté d'un Rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers et foutu aux chiottes

Ce qui est resté d'un Rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers et foutu aux chiottes

de Jean Genet

Texte

  • Jean Genet

Mise en scène

  • Jean-Michel Rabeux

Avec

  • Claude Degliame
  • Delphine Boisse (reprise)
  • Marc Mérigot (peintre)
  • Charles Berling

Lumières

  •  Dominique Bruguière

Assistanat à la mise en scène

  • Laurence Martin

Coproduction

  • La Compagnie
  • Théâtre des arts de Cergy-Pontoise

Ce spectacle a été très important pour nous. On y a perfectionné après Onanisme notre manière de faire du théâtre avec un texte qui n’est pas du théâtre, ce que nous renouvellerons souvent par la suite. C’est la raison pour laquelle nous joignons mon adaptation. D’autant plus qu’elle me rappelle que j’avais d’abord proposé à Wladimir Yordanoff le rôle masculin et comme il n’était pas libre j’avais dû me « rabattre » sur Charles Berling, qui était bouleversant

Jean-Michel Rabeux, Janvier 2024

Ce qui est resté d’un Rembrandt déchiré en petits carrés bien réguliers, et foutus aux chiottes est un court texte en prose de Jean Genet, publié exclusivement dans le Tome IV des œuvres complètes, chez Gallimard. Est-ce pour cette raison qu’il est si peu connu ?

Avec deux autres textes du même ordre : L’Atelier d’Alberto Giacometti et Le Secret de Rembrandt, il forme un triptyque dont le sujet est une réflexion de Genet – par peinture interposée – sur la création, la place de l’artiste dans le monde, dans l’histoire, dans l’éternité, la place de l’artiste dans l’artiste.

Réflexion n’est peut-être pas le mot juste, puisqu’on est évidemment loin, à l’opposé, de tout didactisme, ou prétention à résoudre, la dérision du titre en est bien le signe.

Genet relate le croisement qui se fait en lui de l’émotion provoquée par l’œuvre de Rembrandt, la fin de l’œuvre surtout, et d’une autre, provoquée par le regard d’un homme dans un train.

C’est ailleurs de ce que l’on pourrait supposer, c’est hors du champ érotique.

Jean-Michel Rabeux, Mai 1987

La construction du texte est très particulière puisqu’il se compose de deux colonnes parallèles, l’une relatant ce croisement de regards, l’autre ce qu’est, pour Genet, Le Secret de Rembrandt.

« Qui a réussi cela ? un peintre qui a voulu rendre ce qui est, et qui, en le peignant avec exactitude, ne pouvait qu’en rendre toute la force – donc la beauté ? ou bien c’est un homme qui, ayant compris – à force de méditations ? – que tout ayant sa dignité, il doit s’attacher plutôt à signifier ce qui semble en être dépourvu ? »

Genet dit cela de Rembrandt. Comment ne le dirions-nous pas de Genet ? Ce qui rend ce texte fascinant, c’est qu’à partir de la notion d’artiste – plus exactement de peintre – Genet nous livre une vision quasi mystique du monde. Il parle d’illumination.

« Tout homme, me disais-je, la révélation m’en a été faite, derrière son apparence charmante ou a nos yeux monstrueuse, retient une qualité qui semble être comme un recours extrême, et qui fait qu’il est, dans un domaine très secret, irréductible peut-être, ce qu’est tout homme ».

Et cette révélation Genet l’a connue par ce bref regard échangé avec un homme « au corps et au visage sans grâce, laids selon certains détails, ignobles même », dans un train, « un wagon de troisième classe, entre Salon et Saint-Rambert-d’Albon », et par l’œuvre de Rembrandt, conjointement, où ‘une main vaut un visage, un visage un coin de table, un coin de table un bâton, un bâton une main, une main une manche… il nous entraîne ainsi dans une réflexion mystérieuse qui, au-delà de l’artiste, se porte sur l’homme. L’amour, l’amour de Genet pour l’humain !

En songeant au célèbre Bœuf écorché de Rembrandt, un bœuf pend du plafond comme chez les bouchers et de derrière un rideau de plastique transparent égoutte son sang dans la sciure. Genet dit « Je suis ce bœuf ».
Du fumier est étendu au sol – son odeur. Une femme jeune et belle va s’y tremper, y pénétrer comme on pénètre dans l’eau, en soulevant délicatement sa jupe pour ne pas la salir, dans le geste d’Hendrickje se baignant dans une rivière.
Le peintre s’auto-portraite en public, déchire et recommence inlassablement…
Le modèle regarde son peintre, longuement. Le regard du modèle.
Il n’y a pas de plateau, mais une salle claire-obscure : l’atelier du peintre, où le public pénètre de plain pied et se tient debout, ou assis sur des chaises hautes. Au milieu des gens, le peintre exerce son art. Au milieu des gens les acteurs s’emparent du texte -intégral- de Genet. Ils se mêlent au public qui assiste de tout près à tous les processus de création, des couleurs comme des mots.
Des œuvres de Rembrandt apparaissent, disparaissent telles des rêves, sur les murs rouges sombre, au rythme du texte intransigeant de Genet.
Il s’agit d’un théâtre de la proximité. « Not the Opera ». Le contraire. un théâtre où la pensée circule avec bonté. Mais un méchant théâtre pour l’emphase, un théâtre de la cruauté pour le sûr de soi. L’artiste est celui qui ne sait pas.
Un théâtre pour entendre Genet nous faire toucher d’un doigt hésitant le visage de la création, sa naissance, ses raisons, ses douleurs, ses exigences, sa morale, sa folie qui guette, sa mort qui guette.
Faire toucher du doigt les visages de Genet et de Rembrandt réunis.

Jean-Michel Rabeux, Mai 1987

Création
Le 1er juin 1987 au Théâtre de l’Atalante -Paris

Tournée
Théâtre des Arts de Cergy-Pontoise, Teatro Due / Festival de Parmes- Italie