Feu l'Amour

Feu l'Amour

d'après trois textes de Feydeau

Texte

  • Feydeau

Mise en scène

  • Jean-Michel Rabeux

Avec

  • Claude Degliame
  • Sylviane Duparc
  • Michel Fau
  • Jacques Mazeran
  • Gilles Ostrowsky
  • Christophe Sauger
  • Marie Vialle

Assistanat à la mise en scène

  • Sophie Rousseau

Coproduction

  • La Compagnie
  • MC93, Maison de la Culture de Bobigny
  • La rose des vents, scène nationale de Villeneuve d’Ascq
  • Théâtre de l’Agora, scène nationale d’Evry et de l’Essonne
  • Théâtre du Muselet, scène nationale de Châlons en Champagne

Un Feydeau tendance cauchemar, voilà l’esprit de ces ultimes “farces conjugales”. Seul le fou rire permet d’y échapper. C’est une longue scène d’amours perdues, scène de ménage qui déménage ces corps d’eux-mêmes. Au sens propre ils sont secoués par les mots comme les grenouilles par les chocs électriques.

Les mots de Feydeau font semblant de ne parler de rien, en fait ils portent les acteurs vers une Furor, la même qui rend fous les personnages de Tragédie, la même les agite comme des animaux éperdus, des volailles sans tête.

C’est de monter Copi qui m’a donné envie d’aller voir du côté de chez Feydeau. Une sorte de fausse vraisemblance mène, chez l’un comme chez l’autre, à un surréalisme de situation et de langue qui nous fait exploser de rire en même temps que nous inquiéter sur nous-mêmes : je ris du pire, voilà l’énigme. La cruauté d’en rire où est-elle sinon en moi, le spectateur ?

C’est une bombe avec horlogerie fragile. Comme dans tous les théâtres d’excès, les acteurs doivent aussi tenir l’arme des folies très délicatement dans leurs doigts. Comme en Tragédie il y a partition, et très écrite, très serrée, très respectable. Si vous ne la respectez pas, elle se venge. Il faut beaucoup de modestie, beaucoup de gourmandise, pousser les didascalies comme on pousse les feux, mais toujours rester à servir le texte.

Ça ne se joue pas contre le « boulevard », ça se joue comme du boulevard piqué au L.S.D. En pleine crise, il croise son visage dans les yeux des spectateurs et se fait peur à lui-même. Exit le boulevard.

Exit l’amour donc, mais aussi le bon goût, le sérieux, le raisonnable, l’ordre, en particulier l’ordre familial avec lequel il semble que l’ultime Feydeau ait eu quelques comptes à régler. C’est bien lui qui a écrit : « familles je vous hais ! » non ?

Jean-Michel Rabeux, Octobre 2003

La rue Feydeau, à Paris, n’est pas la rue Feydeau. Elle est la rue Feydeau mais d’un autre Feydeau, obscur ancêtre de notre Georges qui lui n’ pas de rue. Ce qui prouve qu’un Feydeau peut en cacher un autre.

Feydeau n’a sans doute de Feydeau que le nom que portait son père dont il n’est très probablement pas le fils, mais bâtard, au choix, du duc de Morny ou de Napoléon III son frère, qui se partageaient les faveurs de sa mère. entre les deux, Feydeau, lui, a choisi, qui dans sa folie finale se prenait pour le second, avec barbiche et couronnement. Ce qui prouve qu’un Feydeau…

De sa mère on est sûr. Belle jusqu’au scandale , polonaise, juive, ce qui à notre Belle Epoque autorisait l’insulte, elle était une figure controversée du tout Paris. Feydeau, le très français, lest donc très nouvellement par sa mère étrangère à l’accent prononcé, mère adorée mais dangereuse pour  un adolescent toujours avide de respectabilité.

Les dix dernières années de sa vie il les passe à l’hôtel Terminus après avoir quitté pour huit jours le domicile conjugal. On lui connaît, aujourd’hui seulement, des aventures homosexuelles avec, entre autres, les grooms de l’hôtel, ce qui, à l’époque était une impossibilité sociale quasi mortelle (cf. Oscar Wilde). Ce Don Juan réputé pour ses frasques, qui paraissent n’avoir été qu’apparentes, avait donc un secret, et de taille. Ce qui prouve, etc.

L’amuseur était sombre, poli mais misanthrope. Air connu sur le clown triste. Ce qui est plus rare c’est la fin du clown. Après ses dix ans d’hôtel en solitaire, il perd la raison, est envoyé en hôpital psychiatrique où il meurt au terme de deux ans de folie. une des phrases qui lui demeure est : « Je ne peux pas faire sortir le cheval ». Il s’agit du cheval de « Cent millions qui tombent », pièce qu’il n’est jamais parvenu à terminer parce que, disait-il donc : « j’ai fait entrer un cheval sur la scène et je ne parviens pas à le faire sortir ». Ce qui prouve que Feydeau, mécanicien du plateau, l’était à la vie à la mort. Comme un artiste en effet. Le « vulgaire boulevardier » traité en boulevardier vulgaire par l’intelligentsia, refusé à la Comédie Française jusqu’en 1951 pour cause de malpropreté culturelle, cache un artiste déchiré entre son temps et lui-même, comme tout le monde n’est-ce pas, mais artiste parce que sa vie fut de mettre en formes, en la dissimulant, cette déchirure.

Le spectacle que vous allez voir est une des mille façons de montrer qu’un Feydeau peut en cacher un autre. notre façon n’est certes pas exclusive, elle n’est probablement pas à exclure. Nous avons simplement tenté d’aller chercher, au cœur de la langue de Feydeau, son désespoir et son rire, tout particulièrement cruels dans ces trois farces conjugales écrites à la fin de sa vie  et de ses propres déboires amoureux, puisque la dernière (que nous avons très raccourcie) est la l’ultime œuvre de notre Georges chéri avant qu’il ne sombre dans la folie ou, si l’on préfère, qu’il ne s’envole vers la liberté »

Jean-Michel Rabeux, Octobre 2003

Création
Le 6 janvier 2004 à la MC93

Tournée
65 représentations dans 18 lieux en 2004