Aglaé est prostituée, elle le fut toute sa vie, elle l’est encore. Elle a 70 ans, dit-elle. Mais elle peut mentir.
Aglaé a accepté de nous parler de sa vie. Le rosé aidant, elle a parlé une après-midi entière, et la matinée du lendemain. De son métier, puisque c’est le mot qu’elle emploie, mais pas seulement. Elle a parlé des humains, je ne veux pas dire des hommes, on comprend bien pourquoi, quoiqu’elle nous ait évidemment aussi parlé des hommes.
En nous racontant sa vie elle nous a parlé du monde, mais vu d’une fenêtre qui, quoiqu’elle en dise, – «C’est un métier comme les autres» est une phrase qu’elle emploie souvent – est une fenêtre un petit peu singulière.
Elle a exigé l’anonymat, mais pas pour les raisons qu’on supposerait. Son métier elle en est fière. Elle est fière de sa vie. Elle n’a rien à cacher, sauf à une personne, son fils, qui est peut-être sa fille, parce qu’apparemment elle brouille quelques pistes.
Jean-Michel Rabeux, Juillet 2018
Aglaé nous a fait taire en fait. Nous sommes sortis de chez elle joyeusement, stupéfaits d’une liberté de parole qui racontait une liberté de vie. Elle revendique son destin, elle s’amusait beaucoup à nous le raconter.
Liberté est un de ses mots. Certains autres de ses mots sont beaucoup plus crus. J’ai beaucoup coupé, mais pas pour l’amadouer ou la trahir. Je n’aimerai pas du tout trahir cette femme. Son humour, sa causticité, son intelligence, mais aussi sa générosité, son amour pour ses clients, enfin, certains, sa profondeur humaine, nous ont réjouis. Nous sommes sortis de chez elle revigorés. Aussi par son intransigeance, ses emportements terribles contre les maquereaux ou les lois, qu’elle met un peu dans le même panier.
Aglaé c’est une Dame, avec majuscule, c’est le mot qui nous est venu. Une aristocrate. De Sarcelles, mais une vraie, pas par le sang, par l’altitude. Une que l’avis de la société sur sa pensée, sur son mode de vie, laisse de marbre, elle se met d’ailleurs assez aisément hors la loi. C’est une qui diffère. Elle nous a plu pour ça, elle diffère. Ce n’est pas tant son métier qui nous a retenu, c’est sa différence. Je le dis vraiment sans provocation, la personne à qui elle nous a fait le plus songer est un mathématicien de haut niveau de nos amis. Lui aussi est ailleurs de nous, il est autrement.
C’est cette différence qui, outre sa drôlerie, son humain trop humain, en fait un personnage de théâtre: elle n’est pas « normale », pas dans la norme. Ça non ! Phèdre non plus. Nous ne sommes pas d’accord avec tout ce que dit Aglaé, loin de là, mais c’est peut-être ce désaccord qui nous a fait tenter le plateau. Elle sait des choses que nous ne savons pas, elle les sait avec son corps, c’est, à bien des égards, difficile de se mettre à sa place.
C’est pourtant exactement ce que Claude Degliame va faire, tenter de faire, se mettre à sa place, prendre sa place, pour vous faire ressentir ce que nous avons, par elle, ressenti.
Avec émotion nous vous présentons cette Dame, pour qu’il soit rendu justice à sa forme de liberté. Il y a, socialement, politiquement, débat déchainé sur son métier. Ça ne nous intéresse pas, en tout cas pas ici. Ici c’est l’humain qui nous intéresse. Il n’y a humainement pas débat : Aglaé est une grande, très grande personne. Grâce soit rendue à sa vie de chien !
Jean-Michel Rabeux, Juillet 2018
Création
Le 29 novembre 2016 au Théâtre des Îlets – centre dramatique national de Montluçon
Tournée
95 représentations entre 2016 et 2023, dont :
– 35 représentations dans 5 lieux en 16-17 (22 au Théâtre du Rond-Point en janvier 2017)
– 19 représentations dans 6 lieux en 17-18
– 32 représentations dans 4 lieux en 18-19 (19 au Théâtre du Rond-Point en décembre 2018)
– Ultime reprise pour 9 représentations au LoKal – Saint Denis en juin 2023… les dernières de La Compagnie !
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